Il était une fois… le doyen des marionnettistes
Mettre à jour: 06 Juillet 2012
À l’âge de 90 ans, Pham Van Bê reste le «chef» de la Troupe de marionnettes sur l’eau du village de Tê Tiêu, en banlieue de Hanoi. Un vieillard bon pied bon oeil. Yeux vifs, longue barbichette blanche «à la Hô Chi Minh», voix sonore. Apparemment, la passion ça conserve.

 

Sa troupe est en train de présenter dans un coin du Musée d’ethnologie du Vietnam la pièce Ly Thuong Kiêt, du nom d’un généralissime de l’époque des Trân (XIIIe-XVe siècles), dont le personnage principal est manipulé par M. Bê lui-même. Le public est captivé par la voix de stentor du vieil artiste dissimulé derrière un rideau, manipulant avec dextérité la grande figurine de bois représentant le fameux général. Plus d’un serait surpris en apprenant que cette voix est celle d’un nonagénaire.


«Ma troupe, bien qu’elle soit composée d’amateurs, a l’honneur d’être invitée par le Musée d’ethnographie de Hanoi à se produire chaque mois», dévoile-t-il avec un large sourire. Et de nous suggérer de passer un jour à son village de Tê Tiêu, pour mieux comprendre la vitalité des marionnettes. Le rendez-vous est pris.


Dans le village de Tê Tiêu, tout le monde connaît «Bê - marionnettes», un surnom dont le patriarche tire une certaine fierté. Sa maison, où cohabitent trois générations, se trouve au milieu du village. Quand nous arrivons, Pham Van Bê est en train de tailler une marionnette dans une bûche. Ciseaux à bois et copeaux jonchent le plancher. La pièce de 20 m² est remplie de figurines multicolores. «Ce n’est qu’une partie de ma collection, qui en compte plusieurs centaines. Ces marionnettes, je les ai toutes fabriquées. Faute de place, j’ai dû en laisser la moitié dans la salle d’exposition de Thuy dinh (Maison communale érigée au milieu des eaux, destinée à la représentation des marionnettes - NDLR) du village», précise-t-il.


Un voile de nostalgie tombe sur son regard pétillant quant on le questionne sur l’origine de cette passion. «Toute ma vie, je me suis intéressé aux marionnettes sur l’eau. Cela a commencé lorsque j’avais huit ans. Quand mes amis jouaient à des jeux de leur âge, moi j’étais toujours aux basques du maître Lê Nang Nhuong, chef de la troupe des marionnettistes du village», confie-t-il.


Le gamin finit par convaincre le maître de l’accepter comme «disciple benjamin», et de lui transmettre ses secrets professionnels. Petit à petit, le petit Bê apprend à manipuler les marionnettes, à les confectionner et à interpréter des personnages. «En ce temps-là, en raison de la qualité des pièces et de la beauté des marionnettes, la troupe de Tê Tiêu était connue dans tout le delta du fleuve Rouge», s’enorgueillit le vieux. Et de poursuivre, attristé : «mais c’est à cette époque qu’a éclaté la guerre». La troupe s’est alors éparpillée.


Le jeune Bê a été enrôlé dans l’Armée et a participé à la bataille historique de Diên Biên Phu. «Devenu soldat, mon amour pour les marionnettes ne s’est pas atténué, bien au contraire. J’en avais même une au fond de mon paquetage !, s’amuse-t-il. Mes compagnons d’armes, qui donnaient plus d’importance à une patate douce qu’à une figurine de bois, avaient bien dû mal à me comprendre. Mon explication était alors toute simple : je pouvais m’abstenir de manger, mais pas de voir ma marionnette !».

 
Une fois la paix revenue au Nord, Pham Van Bê retourne dans son village où il réussit à mettre sur pied une nouvelle troupe, regroupant des paysans amoureux de cet art.


Néanmoins, avant qu’elle ne retrouve une certaine renommée, la troupe de Tê Tiêu a dû passer une période difficile, faute de moyens pécuniaires. Pham Van Bang, un fils de Pham Van Bê, se souvient encore du jour où son père a vendu des biens familiaux, dont sa bicyclette -un objet de grande valeur à l’époque-, pour soutenir la troupe. Et celui où il a démonté son lit de noces pour fabriquer des marionnettes.

 
La passion du paysan a irradié de tous côtés. Sa femme, ses fils et filles, et aussi ses petits-enfants savent manipuler les marionnettes. «Ce n’est pas pour nous un gagne-pain mais une passion et une fierté», insiste-t-il. Et d’exprimer son souhait ardent de pouvoir un jour être reconnu comme «Artiste du Peuple» par l’État.


Les marionnettes sur l’eau sont nées il y a des siècles dans une quinzaine de villages du delta du fleuve Rouge, où abondent mares et étangs. Encore maintenant, ces spectacles enchantent petits et grands. Les figurines de bois glissent sur l’eau ou y plongent, mues par un ingénieux système de perches de cordes et de poulies, que manipulent des marionnettistes dissimulés derrière un rideau, trempés à mi-corps dans l’eau. La pièce est animée par des pétards, des feux d’artifice, un orchestre composé de tam-tam, de flûtes, de vielles, de castagnettes qui rythme les chansons folkloriques et les mouvements des marionnettes, sans oublier un chœur de deux groupes masculin et féminin pour les dialogues.

AVI
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